Le musée des Beaux-Arts met en lumière la rencontre spirituelle et artistique de deux femmes, la galeriste et mécène Marguerite Maeght (1909-1977) et Sainte Roseline († 1329).
La première, pour remercier la sainte d’avoir entendu ses prières, engage en 1968 la restauration de la chapelle médiévale des Arcs dans laquelle repose le corps de Roseline. Marguerite va au-delà de la sauvegarde du décor originel et fait appel à quatre artistes de ses intimes, Jean Bazaine (1904-2001), Diego Giacometti (1902-1985), Raoul Ubac (1910-1985) et Marc Chagall (1887-1985), pour offrir au lieu de nouvelles oeuvres. En résulte un monumental ex-voto, composé de cinq vitraux, d’une mosaïque et d’éléments de mobilier liturgique. La chapelle est inaugurée en grande pompe le 2 août 1970 et les célébrations sont renouvelées cinq ans plus tard lors de l’installation de la mosaïque de Chagall.
L’exposition éclaire la genèse d’un mécénat aussi personnel qu’atypique, permettant d’apprécier le passage de l’intention à l’œuvre finale, de l’intime au public.
Quatre artistes pour une chapelle
L’ornementation proposée par les quatre artistes pour la chapelle s’inscrit dans une architecture médiévale ornée de retables commandés au XVIIe siècle par la famille de Villeneuve, fière de sa sainte.
Dans un contexte général de réflexion sur l’aménagement liturgique issu du concile Vatican II (1962-1965), les œuvres nouvelles imaginées pour Marguerite Maeght, dont sont ici réunies les maquettes destinées aux artisans, témoignent d’une multiplicité de visions spirituelles qui demeurent cependant tout entières au service de la fonction sacrée du lieu. La mosaïque de Chagall et le bas-relief en bronze de Giacometti figurent les deux miracles principaux de la vie de la sainte, laissant éclater toute l’originalité de leur vision : Chagall représente la sainte ailée au cœur d’une scène flamboyante, tandis que Giacometti offre au miracle des roses une perspective empruntée aux reliefs de l’Égypte antique. Les vitraux de Bazaine et Ubac témoignent quant à eux, par l’enchevêtrement de leurs lignes et leur harmonie tonale, d’un profond rapport au divin sans que celui-ci ne soit codifié.
Sainte Roseline de Villeneuve
Roseline de Villeneuve (née vers 1270 et morte le 17 janvier 1329) a consacré sa vie à la communauté cartusienne (des Chartreux), d’abord novice à Prébayon (Vaucluse), puis professe à Bertaud (Hautes-Alpes) et enfin prieure du monastère varois de La Celle-Roubaud.
Deux miracles lui sont connus : enfant, elle dérobe les vivres du cellier familial afin de les porter aux plus démunis. Un jour son père la surprend mais, à la place du butin, s’échappe de son tablier une brassée de roses. Quelques années plus tard, la jeune novice omet de préparer le repas pour la communauté de son monastère ; juste avant que les autres religieuses n’arrivent, un groupe d’anges dresse la table et y dispose la nourriture. Après sa mort, le corps de la jeune femme est resté miraculeusement conservé.
Marguerite Maeght
Née à Cannes le 25 septembre 1909, Marguerite Maeght a consacré sa vie à faire vivre et connaître l’art de son temps. Avec son époux Aimé, elle ouvre une première galerie à Cannes en 1932. Le couple fait la rencontre décisive d’artistes comme Pierre Bonnard ou Henri Matisse et le commerce rencontre très vite un vif succès. En 1945, les Maeght inaugurent leur galerie parisienne et deviennent les marchands d’avant-garde les plus célèbres de la scène artistique. Ce tourbillon n’empêche pas Marguerite de rester très attachée aux traditions de sa Provence natale, notamment par le biais du culte de sainte Roseline qu’elle prie régulièrement.
Frati uccelli – Nina Laisné
“Dans l’espace d’exposition résonnent des voix étranges. Elles célèbrent l’harmonie de la nature et appellent à une transmutation en oiseaux. Au centre, sous une vitrine, les marges d’une partition historique vibrent encore d’êtres hybrides, tandis que discrètement dans l’obscurité de quatre tableaux se précise la métamorphose.
Située au cœur de la Dracénie, la chapelle Sainte-Roseline côtoie des paysages aux reliefs aussi verdoyants qu’inspirants. Dans ce contexte propice à la contemplation, il n’est pas étonnant que les Franciscains s’y soient installés au début du XVIe siècle, après une première communauté de Chartreuses. Sa relative proximité avec l’Italie nous amène à penser une communauté tournée vers sa figure tutélaire, François d’Assise. Ce dernier a marqué l’Histoire par sa vision inclusive du monde, s’adressant aux animaux comme à des frères et sœurs de l’humanité, et par son culte passionné pour la nature, ce qui en fait l’un des précurseurs de l’écologie. En relisant ses Fioretti, outre les épisodes déjà bien connus de la prédication aux oiseaux ou de la conversion du loup de Gubbio, c’est surtout sa célébration d’un corps hybride qui m’interpelle le plus. Un corps réinventé, qui échappe à sa forme initiale pour se rapprocher du règne animal et en adopter les facultés.
Les récits qui y sont rapportés rejoignent certaines croyances populaires, certains mythes fondateurs. François d’Assise n’est pas le seul touché par cette mutation de l’homme vers l’animal mais c’est bien l’ensemble de sa communauté qui est y sujette. Nombreux sont les exemples évoquant un envol allant parfois jusqu’à l’emprunt du langage des oiseaux. Plusieurs cas de vols fugaces y sont décrits, comme celui provoqué par le souffle de Saint saint François lui-même. D’autres récits sont encore plus troublants, tant la manifestation de la métamorphose des frères est persistante. Certains frères« volaient comme les hirondelles » et « restaient parfois trente jours sur les cimes des plus hautes montagnes, se nourrissant en volant », tandis que d’autres « se mirent à roucouler comme les colombes sous les yeux de leurs confrères ».
Frati uccelli s’inspire de ces récits et tente de raviver le souvenir de ces frères-oiseaux. L’œuvre invite le visiteur à se laisser guider par des polyphonies chantées en dialecte genovese et en italien : la tradition du trallalero, art absolument unique originaire de Liguriea. “