Saisie à la Révolution au château du Luc, dans lequel elle est documentée depuis le XVIIe siècle au moins, l’armure de François de Montmorency est une pièce d’orfèvrerie exceptionnelle par la qualité et la richesse de son décor, et l’une des icônes de la collection du musée depuis le XIXe siècle. Son commanditaire, maréchal de France et gendre du roi Henri II, appartient à la plus haute noblesse du royaume, ce que manifeste aussi cet objet d’apparat et de pouvoir. L’idée de chevalerie connaît au XIXe siècle un revival chez les romanciers et les peintres, c’est ainsi que l’on retrouve sous la Restauration de nombreuses représentations de guerriers dans la peinture dite troubadour. Dans les galeries historiques du château de Versailles créées sous Louis-Philippe, les peintres célèbrent aussi les héros militaires de l’histoire de France parmi lesquels pas moins de cinq membres de la famille Montmorency figuraient en armure.
Composé selon les conventions du XVIIIe siècle, ce cabinet de peintures réunit une vingtaine d’œuvres anciennes majoritairement issues des saisies révolutionnaires. La période est celle du développement, au sein des élites françaises, de la pratique de la collection. Certains amateurs constituent des cabinets de tableaux, nouveaux espaces de délectation et de sociabilité. L’accrochage y suit des critères qui favorisent la densité, la symétrie et l’effet d’ensemble, plus que les mérites individuels de l’œuvre. Les grands tableaux sont accrochés en pendants, sur le rang supérieur, au-dessus de peintures plus petites et plus finies. Les trois écoles (italienne, nordique et française) sont mêlées, de même que les maîtres anciens et modernes. Ces derniers sont parfois sollicités pour peindre des pendants aux peintures du XVIIe siècle, dont ils reprennent le sujet, le format ou le style. Par la juxtaposition d’œuvres de factures différentes, les cabinets s’affirment ainsi comme des lieux essentiels de formation du regard.
Le voyage en Italie, en particulier à Rome et dans les environs de la ville éternelle, demeure au siècle des Lumières une étape majeure dans l’éducation artistique des peintres et sculpteurs, et dans la formation intellectuelle des élites européennes. Les voyageurs du grand tour se plaisent à rapporter des copies ou des réductions des œuvres de l’Antiquité, de la Renaissance et du XVIIe siècle ainsi que des vues des monuments antiques et modernes. Parmi ces curieux, se trouvent aussi des Provençaux, bien placés sur la route de l’Italie et qui meublent leurs demeures de vases en porphyre, de petits bronzes et de peintures telles que le spectaculaire Intérieur de la basilique Saint-Pierre, l’un des principaux sites romains représentés avec la place Saint-Pierre, le château Saint-Ange, la place Navone et le Colisée. Par le prestige de son passé, Rome est à la fois le plus grand musée à ciel ouvert du monde et un creuset dans lequel se forment les acteurs de la modernité artistique.
Au XIXe siècle se produit en France un événement majeur pour les artistes, la naissance des musées. Ceux-ci sont à la fois un espace de formation visuelle pour les apprentis peintres et sculpteurs et un lieu d’exposition et de légitimation dans la suite de leur carrière. L’État devient un acteur essentiel de la création artistique en achetant chaque année au Salon, vaste exposition publique qui se tient chaque année à Paris, des œuvres destinées soit au musée du Luxembourg, devenu à son ouverture en 1818 le premier musée “des artistes vivants”, soit aux musées de province. Ainsi, à partir de 1852, celui de Draguignan, soutenu par des hommes politiques parmi lesquels Georges Clemenceau, s’enrichit de peintures modernes de grand format, aux sujets variés. Le baron Alphonse de Rothschild (1827-1905), par l’ampleur du mécénat dont il fait bénéficier les musées à partir de 1885, apporte une réponse privée magistrale à l’exemple étatique, elle aussi surtout tournée vers la création contemporaine.
Les premières années du XXe siècle voient se multiplier les recherches d’artistes qui, tout en adoptant des genres traditionnels de l’histoire de l’art comme le portrait ou le paysage, cherchent à expérimenter de nouvelles pratiques de la peinture, dont les potentialités plastiques apparaissent de plus en plus distinctes du sujet. La couleur et le trait libre, plus instinctif avec la peinture sur le motif, leur permettent de mieux retranscrire dans l’œuvre leurs sensations. C’est ainsi que la confrontation avec des paysages aux couleurs vives tels que les rochers de l’Estérel contribue à nourrir chez Camoin et Marquet une approche plus radicale de la couleur dans le paysage, qui culmine au Salon d’automne de 1905 dont ces deux peintres repartent, avec Matisse, Derain, Vlaminck et Manguin, affublés du surnom de “fauves”. Jean Puy, proche du groupe, en partage les préoccupations. Sa Vue de Saint‑Alban‑les‑Eaux a appartenu à Matisse. René Seyssaud est un autre partisan, en Provence, de la simplification de la forme et de l’utilisation d’une “pâte” colorée vive.
Le goût pour l’exotisme apparaît tôt en Europe. Le développement des échanges commerciaux avec l’Extrême-Orient par le biais des compagnies des Indes, à partir du XVIIe siècle, soutient une augmentation continue de la demande pour des objets importés. Leurs formes, matériaux et décors fascinent car ils sont alors inédits dans le vocabulaire occidental. La Bretagne et Amsterdam sont les deux portes d’entrée des cargaisons en provenance de la Chine et du Japon, dont la principale place de vente en France est Paris. Certaines familles varoises telles que les Valbelle s’y fournissent en porcelaines précieuses, pourvues de montures dorées par les marchands-merciers. Après la Révolution et pour satisfaire la bourgeoisie, de nouvelles formes de décor domestique apparaissent, dont l’une des plus originales est le papier peint panoramique. Celui redécouvert dans l’ancien évêché, devenu la maison de la famille Latil puis le musée‑bibliothèque de Draguignan, témoigne d’une persistance de la fascination pour l’Orient dans le premier quart du XIXe siècle.
Le siècle des Lumières voit le développement d’un goût pour l’art qui aboutit à l’émergence de la figure de l’amateur, qui joint à la collection, une pratique et une sociabilité artistiques. La Provence compte de grands collectionneurs qui mêlent peintures, sculptures, objets et dessins dans leurs hôtels aixois, leur pied-à‑terre parisien ou leurs châteaux varois. Le goût pour la peinture ancienne se double chez les plus audacieux d’un intérêt pour la peinture moderne, ainsi que pour la commande de décors ou de monuments funéraires particulièrement ambitieux. La mode suit de près celle de Paris, certains artistes tels que Joseph Vernet et Hubert Robert entretiennent une clientèle à la fois dans la finance parisienne et l’aristocratie provençale. Les sites antiques et pittoresques provençaux deviennent aussi à la fin du siècle un sujet dans la peinture qui engendre un nouvel imaginaire préromantique.
Le musée des Beaux-Arts a longtemps été le seul musée municipal à Draguignan et tout au long du XIXe siècle, ses collections se sont enrichies de spécimens d’histoire naturelle et d’objets ethnographiques.
La cohabitation entre ces différentes disciplines, sciences, histoire naturelle, histoire de l’art, ethnographie, relève d’une approche qui doit autant aux “hasards heureux” de la vie d’un musée qu’à une volonté d’appréhender et de comprendre le monde dans son étendue et sa complexité, qui s’est exprimée depuis la Renaissance dans l’espace des cabinets de curiosité.
Ces lieux dédiés aux étrangetés de la nature et de la création humaine mêlaient à l’esprit de connaissance une délectation face aux formes les plus rares et les plus piquantes. Le cabinet du musée témoigne de l’intérêt pour le lointain de donateurs dracénois tels qu’Édouard Aubin, qui passa une partie de sa vie au Liban, le diplomate Louis de Geofroy, le médecin‑major Albert Jubiot ou le pharmacien Joseph-Bernard Gastinel, élevé à la dignité de pacha par le vice-roi d’Égypte.
L’une des capitales judiciaires de Provence sous l’Ancien Régime, Draguignan devient en 1800 préfecture du Var et à ce titre réunit les sièges des nouvelles institutions républicaines du département.
La ville qui voit se succéder plusieurs préfets s’agrandit hors de ses anciens murs, accueille de nombreux fonctionnaires et voit se développer une notabilité qui encourage l’essor de nouvelles institutions culturelles. Ce développement de la ville est aussi celui du musée, qui reçoit régulièrement des donations et s’installe en 1888 dans l’ancien couvent des Ursulines, devenu au XVIIIe siècle la maison de l’évêque de Fréjus puis celle de la famille Latil. Draguignan, chef-lieu conforté, attire des artistes qui prennent ses places, ses allées et ses ruelles comme sujets pour des peintures et dessins auxquels répondent des vues des paysages des alentours, souvent spectaculaires, de l’Estérel jusqu’au Verdon.